Une journée épuisante, c'était un adjectif à peu près correspondant. Exposé, dissertation ; en résumé, les cours. La monotonie des choses, même si Tristan avait eu la chance d'étudier à Courtauld grâce à une bourse, il n'appréciait pas forcément chacun des cours et il détestait plus particulièrement les exposés. D'ailleurs, cet exposé fut intense en confrontation : argumenter des choix, c'est une chose que Tristan hait.
Après ce genre de journée, le brun avait deux choix : partir en tournée des bars pour se mettre mal au point de ne plus pouvoir marcher ou prendre un cappuccino et passer la soirée à la bibliothèque. Il opta pour la bibliothèque : le calme et le silence lui faisait envie et il avait intérêt à réviser pour les jours d'examens qui approchaient en vue d'un concours. Il passa donc à la cafétéria, mission cappuccino, -noisette de préférence, son pêché-mignon- avec un brownie au chocolat. Habituellement, on n'avait pas le droit de manger à la bibliothèque, il dut donc l'entamer en vitesse pendant le trajet de plusieurs longueurs de couloir et plusieurs escaliers jusqu'aux archives de l'université. Il lui semblait avoir oublié quelque chose cependant : son apport en nicotine de la journée était insuffisant. Blasé, il se redirigea vers l'espace extérieur le plus proche : la cour arrière. C'était en l'occurrence interdit aux étudiants externes, mais il n'en aurait pas pour bien longtemps. Il s'assit sur le rebord d'une fenêtre, un lieu à priori caché ; il n'aurait pas de soucis, ça n'était pas la première fois qu'il le faisait, mais c'était toujours bien de s'assurer. Une fois la cigarette sortie, un troisième coup de briquet et la magie du feu fit action ; les premières bouffées de cigarette, accompagnées en plus d'un cappuccino noisette et d'un demi brownie au chocolat. Une agréable pause qui ne dura pas plus de dix minutes.
Une fois cette escapade terminée, il retourna à son but initial, passant une seconde fois par la case machine à café. Il salua le bibliothécaire de soirée, qui était bien plus clément que la dame d'un certain âge qui travaillait habituellement de jour. Il n'avait rien contre les personnes âgées, mais celle-ci était réellement désagréable et semblait ne profondément pas apprécier son métier. Pourtant, Tristan avait souvent songé à devenir bibliothécaire au début de son adolescence, sans y penser sérieusement. Il put donc entrer avec son gobelet encore chaud et à moitié plein dans la main droite, avec bien sûr un petit avertissement oral de la part du surveillant, ainsi qu'un rappel sur le livre qu'il avait emprunté pour une recherche en cours de philosophie ; il assura de le rendre dans le week-end.
Livres, livres, livres encore, calme et silence. C'était ce que résumait ce centre de documentation, qui était symbole de savoir. Les quelques 180 000 bouquins présents faisaient le bonheur de Tristan, bien qu'il n'en eût lu en deux années ici que deux ou trois centaines. Il parcourut les rayonnages pour y trouver quelques ouvrages correspondant aux matières où il avait le plus de lacunes. Puis les laissa tomber sans réellement s'en rendre compte, atterré. Comme s'il avait vu un fantôme -quoiqu'un fantôme l'aurait moins surpris que ce visage, pourtant bien réel-. Que faisait Sacha Jenkins ici ? Son poignet gauche le taquina soudain, un S et un J y était encore bien voyant, marron sur du beige, du blanc et un peu de bleu. En touchant ces lettres du bout de sa main droite (étant prise par le café), un frisson parcourut sa colonne vertébrale en un aller-retour vif. Il se demandait intérieurement s'il n'allait pas tomber raide d'une crise cardiaque soudaine, mais ce n'était pas ce que présentaient ses pensées actuellement. Les deux anciens frères se regardaient dans le blanc des yeux depuis bien deux minutes, choqués.

- Sa ... Sacha ? réussit-il à bafouiller, au bout de quelques secondes.

Expliquer en quoi Shakespeare était un dramaturge. Voilà, le mot était lâché, enfin il en faudrait 999 de plus pour avoir une note correct. Il devait le rendre lundi, et Sacha n’avait toujours pas écrit une ligne. Le jeune se voyait donc privé de sa traditionnelle sortie du vendredi soir, il devra la passée à la bibliothèque, enfer et damnation. Non pas qu’il n’aimait pas cet endroit, le plus souvent il lui apportait la sérénité. Mais louper un soir de fête avec ses amis lui était vraiment insupportable. Les études n’avaient jamais été sa priorité, son diplôme de fin d’étude lui aurait largement suffit. Il avait juste voulut faire plaisir à son frère et profité de la bourse qui lui avait été offert. Sa journée avait été l’une des plus longues qu’il avait jamais passée à parcourir les couloirs de l’université. Rien de plus qu’un enchainement des cours qu’il détestait le plus suivre. Il avait d’ailleurs oublié d’assister à celui sur la littérature anglaise. Préférant sa pause cigarette obligatoire, car peu importe ce que ses amis lui répétaient, il ne démordait pas que ses cinq minutes étaient parfaites pour lui calmé les nerfs. Quand trois heures plus tard la fin des cours sonna, la bande d’inséparable allèrent manger ce que la gastronomie anglaise offrait de meilleur, Burger King. Sacha ne manquait jamais l’un de ses moments tous ensembles, il avait trop longtemps vécu en marge du monde. L’amitié était devenu quelque chose dont il ne voulait plus se passé.

Laissant ses amis continués leur soirée dans une boite quelconque de Londres. Le jeune Jenkins retourna vers les bâtiments universitaires de Courtauld. Il aimait particulièrement parcourir ses couloirs sombres, on pourrait vite se croire dans un film d’horreur. Et il n’était pas du genre à s’effrayé comme cela, il serait même parfait pour le méchant. Sont coté sadique surement. C’est sur cette pensée que Jenkins poussa la lourde porte de la bibliothèque. Il commença par aller rendre les nombreux livres emprunté depuis une décennie. Faisant son éternel sourire à la surveillante de nuit, qui comme toujours fondit sur place lorsqu’il ne lui dit que deux petits mots ; Bonne soirée. Il rit silencieusement et partis enfin parcourir les rayons. Cette fois, il n’avait plus le choix et devais se mettre à bosser. Depuis le temps où il venait ici, le brun avait peu à peu pris ses habitudes, comme par exemple celle de se mettre à travaillé par terre en plein milieu des étagères au fin fond de la salle. Là au moins il était sur d’être tranquille, car qui avait besoin d’un livre sur la vie marine, ou le coïte des crustacé dans une université de littérature ?

Il eu soudainement l’envie de courir au loin lorsqu’il entendit cette voix. Lorsqu'il leva les yeux et vit la personne qui avait tant compté pour lui. Sa première réaction fut un O mon dieu intérieur. Depuis qu’il avait fait sa vie dans la capital, revoir Tristan Bekerley était surement ce qui lui aurait semblé le plus improbable. Jamais il ne s’était préparé à pouvoir le croiser un jour. Un poids venait de tomber sur son cœur, s’était écrasant, insupportable. Instinctivement il regarda son poignet gauche, qui arborait un bracelet de force depuis plus de trois ans maintenant. Il ne voulait plus voir la marque que lui avait laissée leur relation.

S – « Tristan ! ça fait un bail ! »

L’étudiant s’était relever, et passait sa main dans ses cheveux, geste habituel lorsqu’il était nerveux. Il s’avançât ensuite pour ramasser les livres que son vieil ami avait fait tomber et lui fit un sourire peu convainquant...

Le choc était bien plus que monumental. Tandis que son cœur était au bord de l'infarctus et que ses membres en tremblaient presque, son regard restait figé sur ce visage, sans réellement le regarder. Il n'osait tout simplement pas affronter cette grande figure de son passé. Une lithographie des plus blessantes. Sacha Jenkins. Un nom spécial, sans réelle signification ou autre recherche historique ou aristocratique. Un nom sympathique, dirait-on. Mais pour Tristan, c'était bien plus que ça : c'était un nom qui signifiait trop, un nom gravé, dans tous les sens du terme.
Il regarda de nouveau ses cicatrices pour diriger ensuite son regard vers le poignet de son interlocuteur. Un bracelet de force recouvrait ses initiales, T B. Il recouvrait ainsi son passé de cuir, leur passé. Une histoire étrange, harmonique et par-dessus tout dramatique. C'était un peu de l'art moderne, c'était un peu vieux aussi quelque part. Leur histoire était unique, sans réellement l'être, ça la rendait d'autant plus mélancolique, malheureusement.

- Tristan !

Et son cœur se serra davantage. Entendre son prénom dans la bouche de Sacha était si étrange à présent, surtout sous ce ton empli de gêne.

- Ça fait un bail !

En effet, un bail : bientôt quatre ans s'étaient écoulés depuis que Sacha avait quitté Swan, laissant Tristan seul dans sa solitude. Il ne l'avait jamais haï de s'être éloigné ainsi, avant de le quitter pour de bon. Non, s'il y avait bien une personne que Tristan ne pouvait pas haïr, c'était Sacha. C'était comme une évidence, leur union était si simple, complexe en même temps, elle les dépassait largement, allait au-delà de toute existence humaine. Mais avec le temps, il avait appris à prendre cette déchirure comme leçon ; Cette phrase qu'il s'était si souvent répétée intérieurement. « On risque de pleurer un peu si l'on s'est laissé apprivoiser ... » Il était encore trop fragile pour résister suffisamment longtemps à sa future âme-sœur à l'époque. Était-ce encore le cas aujourd'hui ? À voir.
Le sujet de toutes les pensées de Tristan se relevait désormais, passant sa main droite dans ses cheveux de façon pudique, mais dans un geste élégant malgré tout. Un petit sourire -davantage soutiré du rictus nerveux que de la bonne humeur- était exposé sur ses lèvres marquées. Au passage, il ramassa les quelques bouquins que le second protagoniste avait laissé tomber quelques minutes auparavant qui les récupéra ensuite lentement, encore sous le choc.

- Merci. dit-il d'un ton sec, peu convaincant tout comme le sourire pacifiste de son ancien ami.

Ce n'était pas une fin, ça n'en avait pas l'air du moins, mais était-ce un renouveau pour autant ? Aucun des deux ne le savait. La souffrance marque, la séparation aussi notamment : on n'oublie jamais, mais on s'habitue parfois, avec une difficulté problématique souvent. La vie continue. Ces instants douloureux d'intenses souvenirs resteront sûrement gravé dans la mémoire éloquente de l'étudiant.
Ainsi un silence gênant s'installa dans la grande bibliothèque, un silence qui résonnait lourdement d'un passé durement effacé. Pour une fois, le calme dérangeait Tristan. C'était sûrement que ce calme n'était qu'une façade qui cachait une immense tempête. Alors il le brisa, maladroitement quant à son manque d'expérience.

- Qu'est-ce que tu fais là ?